Textes critiques
INTROÏT
Le problème avec mes films si problème il y a c'est qu'ils n'ont jamais procédé d'un scénario, mais de la définition arbitraire préalable de modes opératoires stricts, modes ou équations qui prédéterminent très strictement la nature du travail à opérer ensuite sur la matière filmique proprement dite ...
j'entends par là essentiellement le grain de la pellicule, le halo de la lumière et des formes qu'elle enserre, le temps du déroulement des plans, leur cadrage et leur nature (allant de la chose « vue- nommée » à la chose « ineffable-non nommée » à l'intérieur du cadre de la projection).
J'ai toujours abordé la conception et la réalisation de mes films comme un peintre cubiste abordait la facture de sa toile, comme un musicien sériel abordait la facture de sa composition : d'abord tout ce que l'on « exclut » d'utiliser comme procédé de langage : en ce qui me concerne, permanence du refus d'utiliser les notions de personnage, de pathos, de psychologie, de narration d'une historiette (interdire toute possibilité d'identification du spectateur à ce qui se passe sur l'écran, et dilution totale de mes vagues personnages dans la matérialité même du continuum espace-temps de l'écran)
puis le « programme » précis, la gageure nouvelle que l'on se propose de « matérialiser » dans le film projeté : structure musicale AB/BA de WATERLOO MORNE PLAINE ; construction sérielle et cubiste de CLOSE UP ; inversion des vecteurs de signification de ce qui est entendu (bande son) et de ce qui est vu (bande image) dans les 6 films de LA MISE A NU DU TEXTE...
enfin (et c'est bien là le plus dur, puisque cela requiert abnégation et effacement total) primauté absolue du matériau (matérialité et pertinence de la pellicule impressionnée) contre l'apriori du concept initial, contre l'intelligence et le pouvoir de coercition du prétendu créateur...
... « mes mains ce n'est rien, l'important c'est qu'à la fin ce soit le bronze qui triomphe »
(Alberto Giacometti à Jean Genêt qui le complimentait sur la noblesse et l'habileté de ses mains)
...ma seule et unique prétention : filmer l'intérieur des choses et des êtres, et non point leur
Robert Sève